Kinshasa, RDC – Depuis 1999, la MONUSCO a été le visage de l’intervention internationale en République Démocratique du Congo. Le Conseil de sécurité a prorogé pour un an, jusqu’au 20 décembre 2024, le mandat de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), tout en décidant d’initier son « retrait progressif, responsable et durable » du pays. Pourtant, alors que les bombes continuent de tomber sur le Nord-Kivu et que le conflit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) s’est intensifié depuis janvier, une question troublante émerge : et si cette mission de paix, loin d’être la solution, était devenue le pilier d’une « industrie du conflit » qui prospère sur le chaos persistant ?
Cette analyse, nourrie par 25 années d’observations critiques et de frustrations profondes, explore les mécanismes qui ont enraciné la plus coûteuse mission de maintien de la paix de l’histoire des Nations Unies dans le paysage congolais, rendant son départ total et définitif un mirage.
- Une Machine Économique Colossale : L’Empire de la Paix Onusienne
La MONUSCO fonctionne aujourd’hui comme une véritable multinationale de la paix. Avec un budget annuel de 914,501,700 dollars USD pour la période 2024-2025 selon le rapport officiel du Secrétaire général de l’ONU – elle emploie environ 15 000 soldats de la paix, des milliers de civils internationaux et nationaux, et gère une infrastructure logistique tentaculaire comprenant une flotte d’avions, de véhicules blindés, et des bases opérationnelles à travers le pays.
Cette gigantesque machine économique a créé un écosystème de dépendance. Elle génère des emplois pour plusieurs milliers de Congolais, des contrats de services avec des entreprises locales et internationales, et une demande constante en biens et services. Le paradoxe est flagrant : une mission de paix dont la survie économique dépend, ironiquement, du maintien d’un certain niveau d’instabilité justifiant sa présence.
Des rapports d’enquête ont même soulevé des préoccupations plus graves. Dès 2007, le Secrétaire général de l’ONU a confirmé l’ouverture d’une enquête suite à des allégations selon lesquelles, en 2005-2006, un contingent de la MONUC était impliqué dans l’exploitation illégale de minerais et le trafic d’armes. Plus tard, en août 2011, des employés de la MONUSCO ont été arrêtés par l’Agence Nationale de Renseignements congolaise, soupçonnés de faire partie d’un réseau criminel de trafic de ressources naturelles, dont du coltan, vers le Rwanda.
- Le Mandat Perpétuel : Gérer le Conflit Plutôt que le Résoudre
Le mandat de la MONUSCO, officiellement axé sur la protection des civils et la stabilisation, révèle une ambiguïté fondamentale dans son approche. Face à la résurgence du M23 et aux accusations persistantes de soutien rwandais à ce groupe armé, Félix Tshisekedi a eu des mots très durs à l’encontre de la mission onusienne qu’il accuse de ne pas avoir « réussi à faire face aux rébellions et conflits armés » qui déchirent le pays, en particulier les provinces de l’Est, en un quart de siècle de présence en RDC.
Les manifestations anti-MONUSCO de juillet 2022, qui ont fait des dizaines de morts, ont cristallisé cette frustration populaire. Les slogans « MONUSCO, dégage ! » sont devenus emblématiques d’une population qui perçoit la mission comme incapable de stopper les groupes armés malgré sa puissance de feu théorique.
La complexité abyssale du conflit congolais – avec au moins 266 groupes armés dont 120 identifiés comme actifs dans l’est du pays, des frontières poreuses, et des trafics transnationaux – est constamment citée comme la raison de la longévité de la MONUSCO. Cette tâche « impossible à achever » devient, selon les critiques, le prétexte ultime pour une présence sans fin.
- La Dépendance Militaire Organisée : Maintenir la Faiblesse des FARDC
L’une des accusations les plus graves concerne la relation entre la MONUSCO et les Forces Armées de la RDC (FARDC). Malgré des décennies de collaboration et de formation, les FARDC peinent toujours à assurer seules la sécurité du territoire national. La guerre actuelle à l’Est est un exemple flagrant.
Il est évident que la RDC n’est plus concernée par un quelconque embargo sur les armes depuis 2022. Cependant, pendant des années, toute acquisition militaire par Kinshasa était soumise à l’approbation du Conseil de Sécurité et à des contrôles stricts, entravant la modernisation de l’armée congolaise.
Cette stratégie a créé une dépendance systémique: des FARDC maintenues volontairement faibles pour justifier l’indispensabilité de la MONUSCO. Une armée congolaise puissante, bien équipée et disposant de capacités de renseignement efficaces rendrait en effet la présence de la mission obsolète.
- Le Grand Jeu Géopolitique : Entre Rwanda, États-Unis et Contrôle Régional
La RDC est devenue l’échiquier d’une bataille géopolitique complexe où les intérêts régionaux et mondiaux s’entrechoquent. Le groupe armé M23, soutenu par les forces rwandaises, dans la province du Nord et du Sud-Kivu selon les rapports de l’ONU, illustre cette dynamique.
L’émergence d’un potentiel nouveau partenariat américano-congolais en matière de sécurité menace directement le monopole de la MONUSCO sur la « gestion de la paix ». Les États-Unis ont manifesté une volonté accrue d’aider directement la RDC dans sa sécurité, créant une concurrence directe avec l’approche onusienne.
Cette nouvelle donne géopolitique explique en partie l’acharnement de la MONUSCO à vouloir rester l’acteur principal, même face à l’évidence d’un échec perçu sur le terrain. Céder la place, c’est aussi céder une part d’influence cruciale sur le juteux dossier sécuritaire congolais.
- L’Instrument de Contrôle Médiatique : Radio Okapi et la Captation de l’Opinion
Radio Okapi, créée, financée et contrôlée par la MONUSCO en partenariat avec la Fondation Hirondelle, représente un exemple parfait de cette stratégie de contrôle soft. Avec un budget approximatif de 4 à 8 millions de dollars par an, cette station centralise une large part de l’information publique en RDC.
Ce média est un instrument d’influence permettant à la MONUSCO de façonner le narratif public sur sa propre action. Les journalistes y subissent parfois des pressions internes pour ne pas couvrir certains abus ou conflits, créant une version « officialisée » de l’information qui dépend entièrement du point de vue de la mission onusienne.
Bref,une paix asservie, un congo éternellement captif
Le retrait définitif de RDC est prévu pour la fin de l’année 2024, mais les mécanismes décrits ci-dessus suggèrent une réalité plus complexe. La MONUSCO a peut-être sauvé des vies et fourni une assistance humanitaire (l’avenir nous le dira). Cependant, son maintien prolongé semble aujourd’hui contribuer à entretenir le désordre plutôt qu’à le juguler.
La population congolaise se retrouve captive d’un appareil qui est à la fois économiquement gagnant, militairement dominant, et diplomatiquement ambivalent. « Il est temps pour notre pays de prendre pleinement son destin en main et de devenir le principal acteur de sa propre stabilité », déclarait Félix Tshisekedi.
Si la RDC veut retrouver sa souveraineté pleine et entière, elle devra briser ce cercle vicieux où le maintien du chaos garantit la survie de la MONUSCO. La question n’est plus de savoir si la mission doit partir, mais si elle en a réellement la volonté – et si les intérêts qu’elle a créés le permettront.
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