Parce qu’à un moment, il faut appeler les choses par leur nom (ou leur absence de légitimité politique).
Depuis janvier 2025, l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23) multiplie les offensives dans l’est de la République démocratique du Congo. En trois mois, elle s’est emparée de Goma (28 janvier), Bukavu, et contrôle désormais plus de 70% du Nord-Kivu. Médias, diplomates et observateurs parlent systématiquement de « mouvement rebelle » ou d' »insurrection ». Erreur.
Cette qualification donne une légitimité politique à ce qui n’en a aucune.
Car une rébellion, ce n’est pas juste prendre les armes. C’est un processus : désaccord politique, tentatives de dialogue, échec des négociations, puis seulement recours à la force. L’AFC/M23 court-circuite cette logique et mérite qu’on la regarde pour ce qu’elle est vraiment : une opération militaro-économique aux objectifs géostratégiques précis.
- Une rébellion, c’est d’abord un désaccord politique. L’AFC/M23 n’a jamais présenté un projet de société.
Historiquement, les mouvements rebelles naissent d’un différend clair avec le pouvoir en place : idéologie, revendications populaires, crise de gouvernance. Il y a débat, tractations, tentatives d’accord, puis seulement après, prise des armes.
L’AFC/M23 ? Zéro manifeste politique, zéro programme crédible. Leur seul discours ? « Nous sommes marginalisés. » Par qui, pourquoi, comment ? Silence radio. Corneille Nangaa, ex-président de la CENI (2015-2021) limogé pour « manquements graves », censé donner une façade politique à l’alliance, ne propose aucune vision alternative pour le Congo. C’est du verbiage sans substance.
Plus révélateur encore : légalement, ce mouvement n’est enregistré comme parti politique dans aucune instance officielle de la République. Pas de statuts déposés, pas de reconnaissance juridique, pas d’existence légale. Difficile de revendiquer une légitimité politique quand on refuse même les formalités de base. Contrairement à l’UDPS de feu Étienne Tshisekedi ou l’ABAKO de Kasavubu, qui ont existé légalement avant de contester le pouvoir.
- Un vrai mouvement rebelle négocie… ou tente. L’AFC/M23 n’a jamais engagé de dialogue national.
Même les rébellions les plus controversées (FARC, CNDP, etc.) ont, à un moment, occupé la table des négociations, porté un discours structuré, parfois même participé à la vie politique.
L’AFC/M23, elle, avance dans l’ombre d’un agenda rwandais, sans jamais proposer autre chose qu’un rapport de force militaire. Certes, sous la contrainte des États-Unis, le M23 est désormais sur la table des négociations avec Kinshasa à Doha. Mais regardez leurs revendications : au-delà de l’intégration de leurs éléments dans l’armée et des postes ministériels, le mouvement exige l’immunité pour les crimes commis.
Traduisez : « Négocions, mais garantissez-nous l’impunité pour nos exactions. » C’est du chantage à balles réelles, pas de la politique. Quand les experts de l’ONU documentent la présence de 3 000 à 4 000 soldats rwandais aux côtés du M23, on comprend qu’on n’est pas face à un mouvement cherchant réellement la paix.
- La rébellion se nourrit du peuple. L’AFC/M23, elle, terrorise les populations qu’elle prétend défendre.
La légitimité d’un mouvement armé passe (au moins en partie) par son enracinement local. Qu’on pense aux Tigres tamouls au Sri Lanka ou aux Zapatistes au Chiapas – même controversés, ils avaient une base sociale identifiable, des revendications populaires claires.
Ici, au Nord et Sud-Kivu, l’AFC/M23 n’a que peur et exode pour seule base populaire. Les chiffres parlent : 7,2 millions de personnes déplacées selon le HCR en 2024, majoritairement dans l’est du pays. C’est une occupation, pas une adhésion. Les civils fuient, ils ne rallient pas.
- Une rébellion peut naître d’une rupture interne au pouvoir. L’AFC/M23 est un recyclage de forces téléguidées.
Des rébellions crédibles sont souvent issues de dissensions internes (comme l’AFDL contre Mobutu, ou certains officiers contre un pouvoir central).
L’AFC/M23 est plutôt un proxy. Elle n’est ni née du cœur de Kinshasa, ni du ras-le-bol populaire. Elle est née à Kigali. Les rapports d’experts onusiens le confirment année après année : équipement militaire rwandais, coordination avec l’armée rwandaise, financement externe.
Ce recyclage n’est pas nouveau. Depuis l’AFDL de Kabila père (1996), l’est du Congo voit défiler le même modèle : des groupes armés téléguidés depuis Kigali, avec une façade congolaise et des objectifs économiques précis. RCD (1998), CNDP (2006), M23 première version (2012), et maintenant AFC/M23. Même recette, mêmes acteurs, mêmes zones ciblées. Elle parle peu, agit beaucoup, mais ne représente que des intérêts extérieurs.
- Une vraie rébellion cherche le pouvoir. L’AFC/M23 cherche des couloirs miniers.
Les groupes rebelles visent souvent une prise ou un partage du pouvoir central. Ils veulent changer le système, pas juste en profiter.
L’AFC/M23 ne veut ni Kinshasa, ni l’État, ni le Parlement. Elle veut Rutshuru, les routes de contrebande, les mines d’or et de coltan, les postes de commandement, les immunités. Regardez la carte de leurs conquêtes territoriales en 2024-2025 : tout colle avec les zones minières stratégiques. Et quand ça bloque, elle tire.
- Quand on ne peut pas gouverner, on ne peut pas revendiquer. L’AFC/M23 ne sait ni gérer ni administrer.
Une “rébellion” qui prend un territoire s’efforce souvent d’y instaurer une gouvernance alternative (justice populaire, services sociaux, écoles). C’est ce qui distingue un mouvement politique d’une bande armée.
À Goma, Bukavu et dans les zones occupées, l’AFC/M23 ne fournit ni éducation, ni santé, ni justice. Elle occupe. Elle pille. Elle survit. Les témoignages d’ONG locales sont accablants : pas d’administration civile, pas de services publics, juste du contrôle militaire. C’est de la prédation, pas une gouvernance parallèle.
Bref, ce n’est pas une rébellion. C’est une opération militaire déguisée. En gros, du banditisme.
L’AFC/M23 est une force paramilitaire construite pour influencer, piller et négocier des intérêts géostratégiques. C’est un bras armé. Un levier de pression. Pas un acteur politique.
L’appeler « rébellion » est une insulte à l’histoire des luttes légitimes. Que ce soit l’ANC sud-africain, les maquis français, ou même les mouvements congolais historiques comme l’ABAKO, tous avaient un projet de société, une base populaire, une vision d’avenir.
L’AFC/M23, c’est un racket militarisé, pas une révolte populaire. Et tant qu’on continuera à parler d' »insurrection » ou de « rébellion », on donnera une légitimité politique à ce qui n’est qu’une opération de déstabilisation régionale.
Les mots ont un sens. Utilisons les bons.