KINSHASA – Dans les bureaux feutrés du ministère des finances à Kinshasa, les chiffres économiques de la République démocratique du Congo témoignent d’une résilience remarquable. La croissance du PIB devrait ralentir à 5,1 % en 2025 selon la Banque mondiale, restant néanmoins parmi les plus dynamiques d’Afrique subsaharienne. Pourtant, à 2 000 kilomètres de là, dans les provinces orientales du Nord-Kivu et de l’Ituri, la guerre fait rage. Sept millions de déplacés internes témoignent d’une réalité que les statistiques macroéconomiques peinent à saisir : celle d’une économie minière prospère mais fragile, tiraillée entre performances sectorielles et défis structurels.
Une croissance tirée par le sous-sol, freinée par l’instabilité
Le secteur minier, qui représente 25% du PIB congolais, continue de porter la croissance nationale. Cuivre, cobalt, or : les richesses du sous-sol congolais alimentent les besoins mondiaux en métaux stratégiques, particulièrement dans le contexte de la transition énergétique. La RDC devrait aussi enregistrer une hausse de sa production de zinc en 2025, pour la première année complète d’exploitation de la mine Kipushi. Mise en service en juillet, la mine a une capacité de production annuelle de 278 000 tonnes de concentré de zinc.
Mais cette manne génère un paradoxe saisissant. Selon les dernières données disponibles, le taux de pauvreté de 56,2% et le sous-emploi de 15,1% illustrent la persistance des inégalités. Cette dichotomie s’explique en partie par la géographie du conflit. L’Est du pays, théâtre d’affrontements récurrents entre forces gouvernementales et groupes armés, concentre paradoxalement une partie importante des gisements miniers. Résultat : des mines fonctionnent à capacité réduite, des infrastructures sont régulièrement détruites, et les investissements se font attendre dans ces zones jugées trop risquées.
Congo Mining Week : Un rendez-vous stratégique
L’Union européenne et ses États membres ont pris part du 11 au 13 juin à Lubumbashi (Haut-Katanga), à la 20e édition de DRC Mining Week, une des plus grandes conférences de l’industrie minière africaine, aux côtés des États-Unis qui ont participent également. Cette édition a marqué une année charnière, avec le thème retenu… 2025 – 2030, consolidant le statut de la DRC Mining Week comme la plateforme minière et industrielle phare de la RDC.
L’événement a mis l’accent sur les infrastructures et la sécurité énergétique, des enjeux cruciaux pour l’avenir du secteur. Washington a récemment appelé au retrait des forces étrangères et insiste sur une collaboration harmonieuse des projets favorisant l’intégration économique régionale et la prospérité des économies licites, soulignant l’importance géopolitique de la stabilisation de la région.
Un budget sous contrainte
Face à cette situation complexe, les autorités congolaises naviguent à vue. Le budget rectificatif 2025, arrêté à 50 657 milliards de francs congolais (environ 17,7 milliards de dollars), accuse une baisse de 1,7% par rapport aux prévisions initiales. Ces ressources restent dérisoires pour un territoire de 2,3 millions de kilomètres carrés.
Plus préoccupant encore : les dépenses militaires, officiellement non communiquées, seraient estimées par des experts internationaux à plus de 15% du budget national. Une ponction considérable qui limite d’autant les investissements dans les secteurs sociaux et les infrastructures civiles.
Cette situation budgétaire tendue intervient dans un contexte inflationniste qui, bien qu’en amélioration par rapport aux pics précédents, continue d’éroder le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes.
La Chine, créancier incontournable
Sur le plan financier, la RDC doit composer avec une dette extérieure d’environ 7,2 milliards de dollars, répartie entre plusieurs créanciers. Si l’Association internationale de développement (IDA) de la Banque mondiale reste le principal créancier avec 38% de l’encours, la Chine occupe désormais la deuxième position avec 19% de la dette totale.
Cette montée en puissance de Pékin dans le portefeuille de créanciers congolais ne passe pas inaperçue. Les accords d’infrastructure signés avec la Chine font actuellement l’objet de renégociations, selon des sources proches des négociations. Un enjeu stratégique dans un contexte où 69,7% des exportations congolaises sont destinées au marché chinois, créant une dépendance géopolitique préoccupante.
Parallèlement, les partenaires occidentaux maintiennent la pression sur les questions de gouvernance et de transparence. L’accord avec le Fonds monétaire international, négocié en 2024 malgré les défis sécuritaires, impose des conditionnalités renforcées en matière de gestion des ressources publiques.
Le défi de la diversification
Cette situation met en lumière les limites du modèle économique congolais, fondé sur l’extraction de matières premières exportées à l’état brut. L’absence de transformation locale des ressources minières prive le pays des bénéfices de l’industrialisation, soulignent les économistes locaux.
Les secteurs non miniers soutiendront progressivement la croissance, atteignant 5,9 % en 2027 (contre 3,8 en 2025), selon les projections de la Banque mondiale. Cette transition vers une économie plus diversifiée reste cependant tributaire de la stabilité sécuritaire et des investissements dans les infrastructures.
La concentration géographique des exportations aggrave cette vulnérabilité structurelle. Au-delà de la dépendance vis-à-vis du marché chinois, l’économie congolaise reste tributaire des fluctuations des cours internationaux des matières premières. Une volatilité qui peut rapidement transformer les excédents d’aujourd’hui en déficits de demain.
Des opportunités à saisir
Malgré ces défis, la RDC dispose d’atouts considérables. Sa position stratégique dans la chaîne d’approvisionnement mondiale en minerais critiques – cobalt pour les batteries, cuivre pour les infrastructures électriques – lui confère un avantage comparatif certain dans la transition énergétique mondiale.
Le projet de Corridor de Lobito, soutenu par les États-Unis, illustre cette opportunité de diversification des partenariats. Cette infrastructure ferroviaire, qui doit relier les mines de cuivre et de cobalt de la RDC et de la Zambie au port angolais de Lobito, représente un investissement de plusieurs milliards de dollars et une alternative aux routes commerciales traditionnelles.
L’Union européenne, présente au Congo Mining Week ce mois-ci, travaille également à l’opérationnalisation du partenariat stratégique avec la RDC sur les chaînes de valeur des matières premières critiques et stratégiques, ouvrant de nouvelles perspectives de coopération.
Un équilibre précaire
Pour l’heure, l’économie congolaise évolue sur un fil. D’un côté, une croissance soutenue portée par des ressources naturelles exceptionnelles et une demande mondiale en expansion. De l’autre, des défis structurels – conflit, pauvreté, dépendance – qui limitent les perspectives de développement inclusif.
La fenêtre d’opportunité pour transformer les ressources en prospérité partagée se rétrécit, avertissent les conseillers économiques du gouvernement. Sans résolution durable du conflit dans l’Est et sans diversification économique accélérée, la RDC risque de voir persister durablement ce paradoxe d’une croissance sans développement.
L’enjeu des prochaines années sera de maintenir l’équilibre entre impératifs sécuritaires immédiats, soutenabilité financière et investissements de long terme. Un défi de taille pour un pays qui aspire à devenir une puissance économique régionale, mais dont les richesses naturelles peinent encore à bénéficier au plus grand nombre.
La RDC en chiffres (données actualisées 2025) :
- Croissance 2025 : 5,1% (Banque mondiale)
- Population : 106 millions d’habitants
- Taux de pauvreté : 56,2%
- Dette extérieure : 7,2 milliards USD
- Déplacés internes : 7 millions
- Part du secteur minier dans le PIB : 25%
- Production zinc Kipushi : 278 000 tonnes/an (capacité)