Dix-huit ans de règne, des milliards détournés, un pays saigné à blanc : le « système Kabila » n’était pas un gouvernement mais une entreprise de pillage organisé. Alors que l’ancien président refait surface auprès des rebelles M23, il est temps de dresser le bilan impitoyable de ce qui fut l’une des plus grandes spoliations d’État de l’histoire africaine moderne.
L’entreprise familiale du détournement : Congo Hold-up dévoile l’ampleur du désastre
Les chiffres donnent le vertige. L’enquête Congo Hold-up, basée sur 3,5 millions de documents bancaires de la BGFIBank, révèle que 138 millions de dollars de fonds publics ont transité vers des compagnies contrôlées par l’entourage de Joseph Kabila. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : 105 millions de dollars supplémentaires de sources inconnues ont été crédités sur des comptes appartenant au même cercle.
Le modus operandi était d’une simplicité criminelle : avec la complicité de la banque BGFI RDC, dans laquelle des proches de Joseph Kabila avaient des intérêts et responsabilités, les caisses de l’État congolais ont été systématiquement vidées. L’audace était totale : même la paye de 925 casques bleus congolais opérant en Centrafrique a été détournée par le clan Kabila via la BGFI.
Cette méthode révèle la transformation de l’appareil d’État en machine à cash personnelle. Quand l’ONU verse 7,3 millions de dollars pour une mission de maintien de la paix, quand la société Foner confie 3,2 millions pour la gestion des routes congolaises, quand la banque centrale détient 30 millions de dollars : tout finit dans les poches du clan présidentiel.
La prédation systémique : quand l’État devient propriété privée
Le système Kabila ne se contentait pas de détournements ponctuels, il a institutionnalisé la corruption. Le réseau Sud Oil, incluant des sociétés affiliées comme Kwanza, a obtenu 51,5 millions de dollars de la banque centrale du pays, dans des transactions manifestement illégales puisque sortant du mandat de cette institution publique.
Cette prédation organisée transformait chaque institution étatique en pompe à finance privée. Les ministères, les entreprises publiques, la banque centrale : tout était mis au service de l’enrichissement personnel. Pendant que le peuple congolais survivait avec moins d’un dollar par jour, la famille présidentielle accumulait des fortunes dans des paradis fiscaux.
L’ampleur du système dépasse l’entendement. Sur six ans seulement (2013-2018), 138 millions de dollars ont été détournés, soit l’équivalent du budget annuel de plusieurs ministères. Multipliez par dix-huit ans de règne, et vous obtenez un pillage de plusieurs milliards de dollars.
Les complices internationaux : une toile d’araignée mondiale
Le système Kabila n’aurait jamais pu fonctionner sans ses ramifications internationales. La BGFIBank, basée au Gabon, servait de plaque tournante pour blanchir l’argent sale congolais. Des banques suisses comme UBS ont également été impliquées dans ces circuits de blanchiment, prouvant que la corruption congolaise était parfaitement intégrée aux réseaux financiers mondiaux.
Cette dimension internationale révèle la sophistication du système : il ne s’agissait pas d’une corruption à l’ancienne, mais d’une opération industrielle mobilisant les meilleurs spécialistes de l’évasion et l’optimisation fiscale et du blanchiment d’argent. Pendant que les Congolais mouraient faute d’hôpitaux et d’écoles, leurs dirigeants investissaient dans l’immobilier de luxe en Afrique du Sud, au Zimbabwe, Nairobi, Londres, Paris ou Genève.
Le coût humain : une nation sacrifiée sur l’autel de la cupidité
Derrière ces millions détournés se cache une tragédie humaine innommable. Chaque dollar volé, c’est un médicament qui manque dans un dispensaire, c’est une école qui ne sera pas construite, c’est une route qui restera impraticable. Pendant dix-huit ans, 80 millions de Congolais ont payé le prix de cette kleptomanie institutionnalisée.
Les statistiques sont accablantes : sous Kabila, la RDC est restée dans les derniers rangs mondiaux de tous les indicateurs de développement humain. Mortalité infantile, analphabétisme, malnutrition : tous les fléaux se sont aggravés pendant que les comptes en banque du clan présidentiel gonflaient démesurément.
L’ironie amère, c’est que la RDC possède des ressources naturelles estimées à 24 000 milliards de dollars. Cobalt, coltan, diamants, or, cuivre : le sous-sol congolais pourrait nourrir l’humanité entière. Mais sous le règne Kabila, cette richesse n’a profité qu’à une poignée de prédateurs.
L’héritage empoisonné : des institutions détruites de l’intérieur
Le système Kabila n’a pas seulement volé de l’argent, il a détruit l’idée même d’État de droit. Pendant dix-huit ans, les Congolais ont appris que la loi ne s’appliquait qu’aux pauvres, que la justice était à vendre, que les institutions n’existaient que pour servir les intérêts privés du pouvoir.
Cette déstructuration systémique explique en partie le chaos actuel. Comment reconstruire un État quand toute une génération a grandi dans la conviction que l’autorité publique n’était qu’un instrument de prédation ? Comment restaurer la confiance des citoyens envers des institutions qui les ont trahis pendant deux décennies ?
La fuite en avant : de la corruption à la rébellion
Face à la justice qui se rapproche, Kabila choisit aujourd’hui l’escalade. Plutôt que d’assumer ses responsabilités, il a préféré s’allier avec des hommes armés soutenus par l’étranger. Cette fuite en avant révèle la vraie nature du personnage : un homme prêt à détruire son propre pays plutôt qu’à rendre des comptes.
Son apparition aux côtés du M23 est perçue comme le prolongement logique du système qu’il a créé : quand on a passé dix-huit ans à considérer la RDC comme sa propriété privée, pourquoi s’embarrasser de légalité pour la récupérer ?
Un bilan sans appel : l’homme qui a vendu son pays
Joseph Kabila laisse derrière lui un pays en ruines et des institutions détruites. Mais surtout, il a inoculé dans l’ADN politique congolais le virus de la corruption systémique. Ses successeurs devront des décennies pour réparer les dégâts causés par cette entreprise de destruction organisée.
Le « système Kabila » restera dans l’histoire comme l’exemple parfait de ce que peut produire le pouvoir absolu : la transformation d’un État en entreprise criminelle, d’un peuple en variable d’ajustement, d’une nation en proie à dépecer.
Aujourd’hui que l’ancien président tente un retour par la force, les Congolais doivent se souvenir : cet homme n’a jamais servi son pays, il ne l’a jamais fait que se servir. Et il s’apprête visiblement à recommencer.