Il est 14h30 dans les couloirs feutrés du ministère des Affaires étrangères à Kinshasa. Les fonctionnaires chuchotent, les regards s’échangent. Depuis l’arrivée de Thérèse Kayikwamba Wagner en juin dernier, l’atmosphère a changé. « Elle travaille tard, pose des questions précises… Elle prépare quelque chose, c’est sûr », confie un haut fonctionnaire sous anonymat.
Cette intuition se nourrit peut-être du parcours exceptionnel de la ministre. Politologue de formation, diplômée de Harvard Kennedy School et de Fordham University, elle a construit sa carrière entre secteur public et privé. De 2009 à 2011, elle a travaillé avec la GIZ à Kigali, avant de diriger un programme de protection chez Oxfam à Goma, puis d’enchaîner des missions avec l’ONU (MONUSCO, MINUSCA) et un poste à Nairobi auprès de l’envoyé spécial pour les Grands Lacs. Avant sa nomination ministérielle, elle dirigeait les programmes Afrique chez Meta Group.
Cette intuition, nous l’avons retrouvée partout durant une enquête de trois semaines à Johannesburg, Bruxelles, New York et Kigali : le nom de Kayikwamba s’impose partout où l’on parle de leadership congolais crédible. Mais que cache cette popularité fulgurante pour une femme qui n’était même pas connue dans la sphère politique congolaise il y a à peine deux ans ? À quoi joue-t-elle ?
Origines et parcours : entre deux mondes
Née en 1983 à Kinshasa, Thérèse Kayikwamba est le fruit d’un double héritage. Sa mère, Thérèse Kayikwamba Kabundji, vient de Mbuji-Mayi. Son père, Johannes Wilhelm Wagner, prêtre catholique allemand originaire de Bad Münstereifel, quitte la prêtrise en 1977 pour l’épouser. Elle grandit entre Kinshasa, l’Allemagne, Lomé et Accra. Elle est diplômée de Harvard, Fordham, du Global Campus of Human Rights et de l’Université de Mayence. Sa sœur aînée, Katharina Mbuyi Wagner, est conseillère politique de Félix Tshisekedi.
1. Une silhouette hors du système, mais jamais contre
Ni populiste ni militante, Kayikwamba cultive une posture rare : elle critique sans agresser, avance sans s’opposer frontalement. Elle incarne la rigueur calme, une forme de verticalité morale sans dogmatisme. Pour un cadre du ministère : « Elle dérange parce qu’on ne sait pas où la classer. Elle n’attaque personne, mais tout le monde se sent visé. »
2. Un capital moral qui traverse les frontières
À New York, son nom circule dans les couloirs de l’ONU. À Addis, un diplomate européen glisse : « Elle recentre le débat au lieu de chercher le buzz. C’est déroutant dans une diplomatie souvent hystérisée. » Sa tribune sur OpenParly en 2025 contre les narratifs occidentaux sur l’Afrique fait date.
Son calme impressionne : « Elle redonne de la fierté à notre passeport », confie le Dr Mukendi, médecin à Manhattan. À la City, à Londres, des investisseurs s’y intéressent : « Une femme présidente en RDC, ce serait un game changer », souffle un avocat d’affaires africain.
3. Une posture décalée qui parle à tous
À Johannesburg, une responsable de l’Association des Congolais d’Afrique du Sud dit : « On prépare déjà sa campagne. Les jeunes la veulent présidente. » Dans les groupes WhatsApp comme « Diaspora Congolaise Europe », les messages affluent : « Elle ne nous fait pas honte à l’international ! »
À Château Rouge à Paris, dans les salons de coiffure, elle est devenue une figure populaire : « Il faut peut-être une femme pour changer ce pays. Elle a nos votes », lance une coiffeuse congolaise.
4. L’art du silence actif : stratégie ou prudence ?
À Kigali, elle inquiète. Une source diplomatique rwandaise avoue : « C’est la plus dangereuse pour nous. Elle nous attaque sans bruit, mais avec efficacité. » Les médias rwandais ont même reçu consigne de ne plus citer ses déclarations.
À Kinshasa, dans un nganda à côté de l’Assemblée ou un peu partout à la Gombe, on la surveille. « Elle tisse sa toile », dit un serveur. Un conseiller politique ajoute : « Elle ne parle pas pour rien dire. Mais elle agit vite. »
5. Une énigme politique à l’échelle transnationale
Entre admiration, peur et fascination, Kayikwamba devient un phénomène politique tant en RDC qu’à l’international. Elle fédère sans parti, inspire sans discours programmatique, incarne un rêve sans l’avoir proclamé.
Ses interventions, visionnées sur les réseaux sociaux par des étudiants congolais, électrisent. Dans un groupe WhatsApp baptisé « Politique RDC 2028 », on lit : « C’est notre Obama. Intelligente, propre, moderne. »
Mais à Matonge, les vieux renards de la politique congolaise restent sceptiques : « Elle monte trop vite. Ça peut lui coûter cher », dit un ancien kabiliste converti à l’UDPS.
Une stratégie de l’ombre… pour 2028 ?
Respect des affaires, appui populaire, résonance internationale : tous les ingrédients d’une présidentielle semblent se mettre en place. Un observateur averti conclut : « Elle ne dira jamais qu’elle prépare 2028. Mais tout y mène. »
La vraie question est ailleurs : Tshisekedi acceptera-t-il de l’accompagner jusqu’au bout ?