Kinshasa en pleine effervescence. Tandis que l’Est s’embrase sous les bottes de l’AFC/M23, contrôlant désormais une partie critique du Nord-Kivu et Sud-Kivu, le président Félix Tshisekedi s’apprête à dévoiler son nouveau gouvernement. Annoncé comme un gouvernement d’union nationale sur fond d’Union sacrée, cette recomposition de façade cache une partie d’échecs géopolitique et interne explosive. Entre le retour menaçant de Joseph Kabila, des négociations de Doha tenues secrètes et un rapprochement inattendu avec Martin Fayulu, Kinshasa joue son destin. Voici les cinq manœuvres clés à décrypter dans cette valse des portefeuilles et des alliances.
- L’Union sacrée : Un Gouvernement « Inclusif »… Sous Conditions
Le président Tshisekedi l’a martelé : l’heure est à l’unité nationale. L’objectif officiel est de forger un gouvernement inclusif, capable de cimenter la cohésion politique face à la menace sécuritaire grandissante, notamment l’avancée de l’AFC/M23 à l’Est. Mais cette « Union Sacrée » n’est pas un chèque en blanc. Au-delà des alliances de façade, elle révèle une stratégie de consolidation du pouvoir et d’isolement de certaines figures.
Paradoxalement, cette main tendue s’accompagne d’un rapprochement spectaculaire avec Martin Fayulu, l’ancien rival amer de 2018. Les deux hommes multiplient les contacts discrets depuis janvier 2025, esquissant les contours d’un « front républicain » face à la crise sécuritaire. Ce rapprochement Tshisekedi-Fayulu est clairement un levier pour neutraliser politiquement Joseph Kabila, dont le retour en force agite les craintes au sein du pouvoir.
- Kabila : Le Fantôme du Pouvoir et les Menaces Judiciaires
Joseph Kabila, longtemps reclus, a fait un retour fracassant sur la scène politique depuis décembre 2024. Ses critiques acerbes sur la gestion de la crise sécuritaire, sa posture de recours politique, et son refus catégorique de rejoindre le gouvernement d’union nationale ne sont pas anodins. Ils dissimulent une stratégie d’usure calculée, visant à capitaliser sur les échecs sécuritaires de Tshisekedi pour préparer un retour en force.
L’enjeu est immense : Kabila conserve des réseaux influents au sein de l’armée et de l’administration. Sa proximité historique avec certains dirigeants rwandais nourrit les spéculations sur un rôle occulte dans les négociations avec l’AFC/M23. Pour Tshisekedi, la neutralisation politique de Kabila est devenue une priorité absolue. Ce n’est pas un hasard si les consultations pour l’Union Sacrée ont été lancées avec tous les partis – consultations auxquelles le PPRD (Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie), l’ancienne formation de Kabila, désormais suspendue, a refusé de participer. Ce refus, dont les raisons officielles restent opaques, laisse planer l’ombre de potentielles poursuites judiciaires pesant sur Kabila, rendant son retour d’autant plus complexe et risqué.
- Doha : La Diplomatie de l’Ombre et le Prix de la Paix
Parallèlement aux tractations pour la formation du gouvernement, Kinshasa mène des négociations ultra-secrètes avec l’AFC/M23 à Doha. Sous l’égide du Qatar et la pression insistante des États-Unis, ces pourparlers, initialement niés par le gouvernement congolais, portent sur des points explosifs : l’intégration des éléments de l’AFC/M23 dans les forces armées nationales, l’attribution de postes ministériels à leurs représentants, et surtout, une amnistie générale pour les crimes commis.
Le dilemme est cornélien : accepter ces conditions reviendrait à une légitimation politique d’un groupe armé dont les exactions sont avérées. Refuser, c’est risquer la prolongation d’une guerre qui saigne l’Est et l’économie du pays. Cette négociation pèse lourdement sur la composition du futur gouvernement, certains portefeuilles pouvant déjà être « réservés » dans l’attente d’un éventuel accord, transformant la formation gouvernementale en un jeu de poker menteur.
- Un Gouvernement « Resserré » : Vœux Pieux ou Réalité Politique Complexe ?
L’une des grandes promesses du président Felix Tshisekedi était de réduire la taille de son équipe gouvernementale à environ 30 ministres, contre plus de 50 précédemment. L’objectif affiché : rationaliser les dépenses publiques et améliorer la coordination ministérielle. Mais l’équation politique congolaise est bien plus complexe que de simples chiffres.
Au-delà de Fayulu, Tshisekedi s’appuie sur une myriade d’autres partenaires politiques qui constituent l’Union Sacrée. Contenter tous ces alliés, gérer les potentielles exigences de l’AFC/M23 via les négociations de Doha, et maintenir les équilibres géographiques et ethniques nécessaires, tout cela complique cette rationalisation. Des postes stratégiques comme la Défense et l’Intérieur pourraient être redistribués pour sceller le rapprochement avec Fayulu, tandis que d’autres ministères, techniques ou moins visibles, pourraient servir de monnaie d’échange dans de futurs accords. L’exercice d’équilibrisme est périlleux.
- Une Opposition Fragmentée : Un Atout Inattendu pour le Pouvoir
La proposition d’union nationale expose une opposition congolaise plus fragmentée que jamais. D’un côté, le rapprochement Tshisekedi-Fayulu dessine un axe « républicain », présenté comme une alliance de circonstance face à la crise existentielle du pays. De l’autre, Joseph Kabila se retrouve politiquement isolé, son refus de participer aux consultations pour l’Union Sacrée étant interprété comme une posture d’attente opportuniste, peut-être liée à la pression des potentielles poursuites judiciaires.
Un troisième bloc, mené par Moïse Katumbi, maintient une position d’opposition frontale, dénonçant à la fois les dérives du régime Tshisekedi et les manœuvres de Kabila. Cette fragmentation, bien que chaotique pour l’opposition, profite paradoxalement au pouvoir en place. Elle lui permet de jouer sur les divisions internes pour consolider sa propre position, affaiblissant toute contestation unie et donnant au président Tshisekedi une marge de manœuvre inespérée.
Le Jugement Dernier : Un Pari de Stabilité sous Haute Tension
Le prochain gouvernement interviendra dans un contexte d’une extrême sensibilité : tensions régionales exacerbées avec le Rwanda, négociations secrètes avec l’AFC/M23 dont l’issue est incertaine, et une recomposition de l’échiquier politique interne avec le retour de Kabila et le rapprochement avec Fayulu. Pour Félix Tshisekedi, récemment réélu, cette période est le test ultime de sa capacité à rassembler face à l’urgence nationale, tout en isolant ses adversaires les plus tenaces.
L’équation est plus complexe que jamais : réussir cette Union sacrée suppose de gérer simultanément trois dossiers explosifs – les négociations de Doha avec l’AFC/M23, l’intégration politique de Fayulu et ses alliés, et la neutralisation de Joseph Kabila. Un exercice d’équilibrisme politique qui déterminera la stabilité du pays et l’efficacité de sa réponse à la crise sécuritaire dans les mois à venir. Le compte à rebours a commencé.